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Pour le mois de mai, un thé découverte en compagnie des Fées
On ne compte plus les jeux divinatoires présentant des Fées. Qu’elles en soient le thème principal ou non, il semble que ces créatures fascinent, sans doute parce qu’elles touchent à ce que l’on conçoit aujourd’hui comme étant les mondes de l’imaginaire. Pourtant, leur réalité prend racine en des temps anciens où le visage qu’elles revêtaient était bien différent de celui qu’on leur attribue communément de nos jours.
On les retrouve en effet sous plusieurs formes dans les récits médiévaux, qu’ils soient littéraires ou mythologiques. Dans tous les cas, elles font partie du quotidien – plus ou moins ordinaire – de chacun et sont présentes en filigrane dans l’environnement des humains. Dans certaines contrées, les Fées sont ce que l’on appelle des « dieux diminués », c’est-à-dire que lorsque ces régions ont été christianisées, les « nouvelles » croyances ont remplacé les anciennes tandis que l’ordre apporté par les institutions – l’Église en tête – est devenu la norme. Ainsi, les villes sont devenues les lieux où l’on trouvait les honnêtes gens, ceux qui se conformaient aux lois terrestres et spirituelles et qui représentaient l’ordre établi par la morale. Face à ces espaces sécurisés et sécurisants s’élevait la forêt, qui incarnait alors le chaos sous toutes ses formes : ces étendues vertes livrées à la Nature sauvage ne connaissaient aucun ordre que ce soit puisque la végétation s’y développait de façon anarchique. Ce désordre ambiant était perçu comme dangereux, car dans la forêt, les codes établis par les hommes ne s’appliquaient pas. Ainsi, les humains y perdaient leurs repères – et leur chemin ! – et ne pouvaient contrôler ce qui s’y passait. Celui qui s’y aventurait se trouvait alors à la merci du monde sauvage, et la forêt était donc considérée comme le lieu de tous les dangers.
C’est pourquoi la forêt apparaît dans les récits médiévaux comme l’endroit où se retrouvent ceux qui pour une raison ou pour une autre ne rentrent pas dans les cadres établis par la société. Ainsi, s’y réfugient les hors-la-loi (on pensera à Robin des Bois), les voleurs, ceux qui errent, mais aussi les créatures appartenant aux anciennes traditions ainsi que les animaux merveilleux comme les licornes. Parmi ces êtres ayant fait de la forêt leur sanctuaire se trouvent les Fées, qui ne sont autres qu’une forme de mutation des dieux qui étaient au cœur des croyances d’antan. En effet, les anciennes religions étant supplantées par le Christianisme, leur influence sur les populations et les traditions s’en est trouvée réduite et comme elles n’étaient pas admises au sein des villes bien ordonnées, la forêt est devenue le nouvel habitat des dieux. Voilà qui était pourtant tout indiqué puisque de tout temps, les Êtres Surnaturels présents dans ces traditions ont été intrinsèquement liés à la Nature dont ils incarnaient les différents aspects. Faire de la forêt leur royaume a nettement réduit l’étendue de leur champ d’action, si bien qu’ils ont peu à peu mué à mesure qu’ils perdaient de leur envergure pour subsister sous la forme des Fées que l’on rencontre notamment dans les poèmes médiévaux appelés Lais Féeriques et Lais Bretons. Ces textes racontent comment des chevaliers en quête d’aventure se risquent dans la forêt et y rencontrent de belles jeunes femmes qui changeront leur destin à jamais, tantôt en leur soumettant une quête, tantôt en leur lançant des défis. À mesure que l’on avance dans le conte, on se rend compte que le chevalier a bel et bien rencontré une Fée, c’est-à-dire un Être Surnaturel. De ce fait, il est entré en contact avec l’Autre Monde, autrement dit le plan sacré, celui des mythes.
Ces intrusions dans l’Autre Monde ne laissent pas celui qui y pénètre indemne. Lorsqu’il retourne dans le monde humain en traversant à nouveau la frontière qui l’en sépare (la plupart du temps un ruisseau ou une rivière), il lui est impossible de reprendre son existence là où il l’avait laissée, pas plus qu’il ne peut continuer à y appliquer les mêmes règles qu’avant. Il n’est pas rare en effet qu’il doive obéir à une ou plusieurs règles – le plus souvent des interdits – qui lui auront été imposées par la Fée avant qu’elle ne l’autorise à repartir. Par ailleurs, les Fées décident du destin de celui qui croise leur chemin, que ce soit à son avantage ou non. En réalité, elles ne sont ni bienveillantes ni malveillantes : en tant que dieux diminués, elles agissent selon l’ordre naturel des choses, c’est-à-dire selon ce qui est bon pour le fonctionnement du Monde indépendamment de ce que souhaitent les hommes. Elles sont donc impartiales et représentent les forces de la Nature. C’est d’ailleurs de là qu’elles tiennent leur nom, car le terme fée est hérité du latin fatum (pl. fata) qui signifie destin.
À la lumière de ces éléments, on comprend pourquoi ces figures énigmatiques, grandes, belles et fascinantes sont présentées tantôt comme des alliées précieuses, tantôt comme de terribles et effrayantes rencontres. Quels que soient les textes médiévaux dans lesquels elles apparaissent, elles incarnent l’Autre Monde, celui des mythes et du plan sacré, celui des traditions pré-chrétiennes, d’où leur charisme et leur capacité naturelle à intimider celui qui les rencontre.
Or, la manière dont on conçoit les Fées a beaucoup évolué au fil des siècles, et l’on s’est parfois grandement éloigné de leur envergure originelle. Ceci est particulièrement visible au cours de l’Ère Victorienne, où elles sont reléguées au rang de divertissement pour enfants, que ce soit dans les rôles qui leur sont attribués dans les contes ou dans la manière dont on les perçoit en général. Peu à peu, elles en sont arrivées à appartenir au monde de l’enfance tandis qu’auparavant leur présence concernait tout le monde. On les a cantonnées à l’imaginaire et elles sont devenues des créatures non plus réelles, mais purement fictives. Elles ont bien sûr perdu leur envergure et leur rôle de décideuses du destin des hommes, et seuls les enfants peuvent les voir ou y croient. Les contes de fées, qui au départ s’adressaient davantage aux adultes qu’aux enfants, sont désormais considérés comme exclusivement destinés à un jeune public.
Les fées sont donc adaptées à l’imaginaire enfantin : elles perdent leur grande taille pour devenir minuscules, pas plus hautes que le pouce, à l’image de la Fée Clochette (Peter Pan, J.M. Barrie). Si elles conservent leurs liens avec la nature dont elles continuent d’incarner certains aspects de façon plus naïve, elles se révèlent facétieuses et font preuve d’espièglerie. Ainsi, on les retrouve associées à tel ou tel type de plante, et leur caractère rieur est souvent mis en avant. Le thé découverte de décembre 2016 reviendra plus en détail sur ces considérations qui méritent que l’on s’y attarde plus longuement. D’où l’idée de leur consacrer une séance !
Après avoir exploré ces différents axes, nous avons observé de quelles manières les Fées étaient présentées dans un éventail de jeux varié. Ainsi, nous sommes revenus sur les Fées médiévales qui sont au cœur de nombreux tarots et oracles, et avons même eu l’occasion de remarquer que leurs rôles n’étaient parfois pas éloignés de ceux que peuvent endosser les anges, qui cohabitent d’ailleurs avec elles dans certains oracles. À travers ce voyage, nous avons donc continué de faire connaissance avec les multiples facettes des Fées, qu’elles soient dépeintes comme des réminiscences d’anciennes divinités ou qu’elles revêtent un visage plus enfantin. Mythologies, traditions folkloriques, contes pour enfants et fées victoriennes, toutes étaient au rendez-vous pour cet après-midi teinté de magie !
Par ailleurs, la diversité artistique qui s’est illustrée dans les différents jeux a permis à chacun de découvrir des supports qui ont pu raisonner avec ses sensibilités. Des jeux utilisables pour de petits tirages par les débutants à ceux qui s’adressent à des cartomanciens plus avertis, il y en a eu pour tous les goûts, y compris pour les collectionneurs qui ont pu admirer des jeux rares ou désormais introuvables.
Ce thé découverte s’est encore une fois déroulé sous le signe de la bonne humeur, de l’humour et de la chaleur humaine. Je remercie vivement les participants pour leur enthousiasme et leur curiosité envers le thème du mois, ce qui a mené à de passionnantes discussions et a permis d’ouvrir les horizons !
Je me réjouis déjà de poursuivre l’exploration de l’Autre Monde dès la prochaine séance qui aura lieu début juin et introduira la fascinante figure de l’Homme Vert – appelé Green Man en anglais. Je vous donne donc rendez-vous dans quelques semaines si vous le voulez bien !
À très bientôt autour d’un thé,
Morrigann
SUR LA PHOTO (de gauche à droite et de haut en bas) :
Wild Wisdom of the Faery Oracle (Lucy Cavendish, Selina Fenech). Victoria, AUS: Blue Angel Publishing, 2009.
The Victorian Fairy Tarot (Lunaea Weatherstone, Garu A. Lippincott). Woodbury, MN: Llewellyn Publications, 2013.
The Faerie Guidance Oracle (Paulina Cassidy). Woodbury, MN: Llewellyn Worldwide, 2012.
The Faery Forest: An Oracle of the Wild Green World (Lucy Cavendish, Maxine Gadd). Victoria, AUS: Blue Angel Publishing, 2016.
Twilight Realm: A Tarot of Faery (Beth Wilder). Atglen, PA: Schiffer Publishing, LTD, 2010.
The Faeries’ Oracle: Working with the Faeries to Find Insight, Wisdom and Joy (Jessica Macbeth, Brian Froud). New York, NY: Simon & Schuster, 2000.
Universal Waite Tarot Deck (Arthur Edward Waite, Pamela Colman Smith, Mary Hanson-Roberts). Stamford, CT: U.S. Games Systems, Inc., 1990.
Tarot des Fées (Riccardo Minetti, Pietro Alligo, Mara Aghem). Torino: Lo Scarabeo, 200.
The Stolen Child Tarot (Monica L. Knighton). Self-published, 2013.
Madame Endora’s Fortune Cards (Christine Filipak, Joseph Vargo). Cleveland, OH: Monolith Graphics, 2003.
Inspirational Wisdom from Angels & Fairies (Frances Munro, Judy Mastrangelo). Stamford, CT: U.S. Games Systems, Inc., 2015.