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Les Détectives aux Arcanes sur les traces de la Comtesse Sanglante
Le samedi 10 février s’est tenue la première réunion des Détectives aux Arcanes de 2018. Bravant le froid parisien du cœur de l’hiver, deux détectives étaient présentes pour mener l’enquête à l’aide de tarots de type Rider-Waite Smith. Lors de cette séance de travail, nous avons aidé le Comte Ferenc Nádasdy de Nádasd et Fogarasföld à faire tant bien que mal la lumière sur le mystère qui entoure sa tristement célèbre ancêtre. Cette affaire n’a pas manqué de susciter les interrogations… et d’éveiller les passions !
Au cœur de l’un des épisodes les plus sombres de l’Histoire
La lettre envoyée à travers le temps et l’espace par le Comte Ferenc Nádasdy de Nádasd et Fogarasföld nous plongea dès les premiers paragraphes au cœur de l’un des épisodes les plus mystérieux et les plus sombres que l’Europe ait connus jusqu’à présent. Si le Comte se montra d’abord hésitant quant à nous révéler l’identité de sa grand-mère, il lui fallut bien en passer par-là, ce qu’il se résolut à faire tant il avait besoin de notre aide. Sa demande était claire : il sollicitait les compétences des Détectives aux Arcanes afin que nous l’éclairions sur les zones d’ombre qui demeurent en ce qui concerne les agissements prétendument meurtriers et sanglants de sa grand-mère, la Comtesse Erzsébet Báthory. En effet, celle-ci fut accusée d’avoir tué, battu, torturé et mutilé un nombre impressionnant de jeunes filles, ce pour quoi elle fut arrêtée et condamnée à être enfermée dans son château jusqu’à ce que mort s’en suive.
Toutefois, d’après son descendant, la culpabilité d’Erzsébet Báthory ne serait pas aussi évidente qu’il y paraît, car les preuves en seraient bien minces. Comme il nous l’expliquait dans sa lettre, les témoignages qui accablaient la Comtesse étaient soit issus de rumeurs qui se répandaient comme des traînées de poudre, soit obtenus sous la torture, ce qui remet en question leur fiabilité et leur objectivité.
Par ailleurs, Erzsébet était issue d’une très riche famille et avait épousé un homme qui ne l’était pas moins d’une part, et possédait un fort tempérament qui en faisait une femme de caractère et respectée à la Cour comme sur ses terres d’autre part. Cette force de caractère lui avait été nécessaire au quotidien pour diriger son château, en gérer les comptes et défendre ses terres des tentatives d’invasions et des révoltes paysannes lorsque son époux partait à la guerre.
Au décès de celui-ci en 1604, elle se retrouva seule à la tête de ses domaines et dut en assumer l’entière responsabilité. Ne bénéficiant plus de la solde de son héros militaire de mari, elle voyait sa fortune s’amenuiser progressivement et craignait à terme de ne plus pouvoir s’acquitter des tâches qui lui incombaient. Elle entreprit donc de réclamer au roi Mátyás qu’il lui remboursât la dette colossale qu’il avait contractée auprès du couple. En effet, Ferenc Nádasdy (l’époux de la Comtesse) avait en grande partie financé les coûteuses guerres que le royaume de Hongrie avait menées dernièrement car les caisses du roi n’étaient pas suffisamment pourvues. Mátyás n’avait jamais remboursé car sa situation financière ne s’était pas améliorée. Lorsqu’Erzsébet se mit à se rendre régulièrement à la Cour pour réclamer son dû, sa démarche agaça le roi et son premier ministre György Thurzó, et le roi n’était pas plus disposé qu’avant à lui restituer ce qu’il devait.
Dans sa lettre, le petit-fils remarquait que Mátyás et Thurzó avaient tout intérêt à écarter la Comtesse et à la museler, car celle-ci était de toute façon plus riche et plus puissante que le roi, même amputée d’une partie de sa fortune. Aux yeux du roi et de son premier ministre, elle constituait donc une véritable menace pour le pouvoir en place, et il fallait trouver une solution à cette gêne. D’après son petit-fils, il est donc possible qu’ils aient appuyé les rumeurs qui avaient commencé à se répandre pour justifier une arrestation qui mènerait à la confiscation des possessions de la Comtesse. Celles-ci pourraient alors être récupérées par le roi et la dette serait effacée !
En parallèle, des rumeurs se répandaient au sujet de la Comtesse, que l’on associait aux nombreuses disparitions de jeunes filles qui avaient lieu sur ses terres d’après ce qui se disait. On racontait qu’elle frappait, torturait, mutilait et tuait des jeunes filles âgées de 10 à 14 ans dans son château avec l’aide de quelques complices parmi lesquels la mystérieuse Anna Darvolya, une sorcière croate qui se serait arrivée en 1601. Selon les rumeurs, cette dernière pratiquait la magie noire et la sorcellerie et avait initié la Comtesse et ses complices à la torture, qu’elle leur avait enseignée avec le plus grand soin. Des rumeurs affirmant qu’elle torturait et tuait au vu et au su de la Comtesse et de son époux avaient émergé dès 1601, mais l’époux d’Erzsébet était parvenu à les contenir et à les faire taire. À sa mort, la Comtesse se retrouva seule face à cela et ne put rien faire pour empêcher les bruits de se répandre ou les rumeurs d’enfler. Par ailleurs, il était coutume dans la culture populaire de l’époque de faire des veuves des boucs-émissaires en les associant au Diable et en les accusant de pratiquer la sorcellerie et la magie noire. Erzsébet n’échappa donc pas à la tradition et il ne fallut pas longtemps avant que les pires horreurs circulent à son sujet.
En 1610, le roi envoya Thurzó arrêter la Comtesse, qui venait d’afficher son soutien officiel à son cousin qui comptait mener une guerre contre lui. Le motif officiel de l’arrestation fut le massacre particulièrement sanglant des jeunes filles, et l’on sait même d’après une lettre qu’il écrivit à son épouse que Thurzó la prit « en flagrant délit ». On sait aussi qu’avant de partir, il avait l’intention de l’arrêter en flagrant délit, ce qui rend bien sûr la chose curieuse. Enfin, une fois l’arrestation terminée, le premier ministre s’est précipité à la recherche des bijoux de la Comtesse, qu’il trouva et offrit à son épouse !
Tous ces éléments, d’après notre correspondant, rendaient plus que douteuses les accusations qui pèsent encore sur sa grand-mère. Il insista également sur le fait que les témoignages des complices d’Erzsébet ont été recueillis sous la torture, ce qui les rend par définition irrecevables. Il remarqua également des similitudes étonnantes dans le vocabulaire et les structures de phrases employés par l’ensemble des témoins, ce qui est impossible compte tenu de l’éloignement géographique de leur lieu de résidence.
Après avoir pris connaissance des faits et des doutes du petit-fils d’Erzsébet Báthory, nous avons décidé de l’aider en essayant de mettre en évidence des éléments qui pourraient mener à l’innocenter ou au contraire à confirmer sa culpabilité. Nos cartes en main, nous nous sommes donc immergées dans la Hongrie du début du XVIIème siècle et avons examiné plusieurs aspects de cette affaire.
Une femme qui dérange ?
Bien qu’au centre de l’affaire puisque celle-ci la concernait directement, Erzsébet Báthory (présentée sur le portrait ci-contre) en restait toutefois la grande muette puisqu’à aucun moment sa voix n’avait été entendue. Jamais elle n’avait confessé les crimes qui lui étaient reprochés, pas plus qu’elle n’avait été jugée. Aussi, elle fut la première piste explorée par les Détectives aux Arcanes. Il est d’ailleurs très intéressant de noter que lorsque nous avons travaillé à l’établissement de nos démarches d’investigations respectives chacune de notre côté, nous avons toutes eu la même idée : celle de nous interroger sur les faits et gestes et sur l’environnement direct de la Comtesse.
Dans les tirages que nous avons effectués, il est ressorti qu’Erzsébet évoluait dans un contexte qui lui était plutôt hostile et qui ne lui permettait pas d’avoir l’esprit tranquille. Nos cartes l’ont présentée comme une personne tourmentée par ce qui se passait autour d’elle, obligée de rester vigilante en toute circonstance afin de résister aux multiples attaques qui pouvaient surgir à tout moment. En effet, la région dans laquelle se trouvait le château de Csejthe où elle résidait alors était régulièrement troublée par des révoltes paysannes, mais aussi par les tentatives d’invasions quasi-constantes de la part des Turcs, qui étaient pour ainsi dire aux portes de la Hongrie.
À ces inquiétudes se joignaient celles concernant ses relations avec la Cour, qui n’étaient pas au beau-fixe. Nos tirages ont en effet mis en avant le fait que malgré les soucis quotidiens qui étaient les siens, Erzsébet n’avait rien perdu de sa puissance ou de son pouvoir, et ce en grande partie grâce à sa force de caractère hors du commun. Ce fort tempérament a été son principal appui, en particulier après le décès de son époux lorsqu’elle n’a plus bénéficié de son appui et de sa protection. Cet aspect est lui aussi ressorti dans nos tirages, et il a même été associé aux réclamations régulières qu’elle faisait au roi quant à la dette dont il lui était redevable. Les cartes ont en effet montré le manque de volonté du roi quant à un remboursement. D’après ce que nous avons pu constater, il était parfaitement conscient que cette situation lui serait préjudiciable tôt ou tard : non seulement avoir affaire à quelqu’un de plus riche que lui le plaçait dans une position très inconfortable et fragilisait son autorité politique (il craignait de voir son pouvoir renversé à tout moment), mais son incapacité à rembourser sa dette (à une femme !) était tout de même quelque peu humiliante et pouvait remettre en question sa crédibilité.
Si nos tirages ont insisté sur la position peu confortable d’Erzsébet et sur les oppositions qu’elle rencontrait, l’état des lieux qu’ils ont dressé de son environnement n’a fait en revanche aucune allusion à quelque accès de violence remarquable que ce soit de la part de la Comtesse. Voilà un élément qui aurait pu être présent, mais si maltraitance particulière sur le personnel il y avait, les lames tirées n’y ont pas fait allusion. Elles se sont davantage concentrées sur le fort caractère d’Erzsébet qui l’a certes rendue gênante aux yeux du roi et de son premier ministre, mais qui lui a aussi permis d’affronter un contexte politique propice aux trahisons et aux complots.
La possibilité d’un complot
C’est donc tout naturellement que certaines détectives décidèrent de creuser la piste du complot politique afin de tenter de déterminer si les accusations qui avaient été portées à l’encontre de la Comtesse étaient fondées ou s’inscrivaient dans le cadre d’une machination visant à la mettre hors d’état de nuire. Qu’elles aient été obtenues lors de notre premier tour de tirages ou lors de tirages effectués spécifiquement pour explorer cette piste, les lames tirées ont été très cohérentes : nombreuses étaient celles qui évoquaient les complots, les trahisons et les attaques !
Il a été très intéressant de constater que certaines lames étaient présentes dans des tirages effectués par différentes détectives, ce qui a renforcé non seulement l’idée que la cartomancie ne tient pas du hasard, mais également celle selon laquelle la probabilité d’un complot politique ourdi par des personnes de pouvoir avait bien réussi à nuire à Erzsébet. Nos cartes la montraient en proie aux attaques non armées qui la privaient d’une partie de ses moyens (on pensera notamment à la dette non remboursée mais aussi à la rumeur qui peut faire office d’attaque verbale), mais aussi comme quelqu’un d’isolé sur le plan géographique. Or, la Comtesse résidait dans une région plutôt hostile, tant par le climat que par l’environnement naturel (forêt et montagne) et politique (révoltes paysannes régulières, tentatives constantes d’invasions de la part des Turcs). Naturellement isolée, il lui était peu aisé de communiquer avec la Cour en dehors de ses visites régulières. Voilà qui a, d’après nos cartes, joué en sa défaveur et qui a donné du grain à moudre à ceux qui souhaitaient sa chute, car cela leur a permis de confirmer et de véhiculer une image d’Erzsébet peu flatteuse qui a pu les aider à justifier son arrestation par la suite.
Par ailleurs, l’opposition entre l’immense fortune de la Comtesse et caisses (presque) vides du royaume est ressortie dans nos tirages. Nous avons ainsi constaté la convoitise que suscitaient les possessions d’Erzsébet Báthory qui, est-il nécessaire de le rappeler, faisait partie de la haute noblesse et comptait parmi les personnes les plus riches de Hongrie. Il est apparu clairement que l’on cherchait à confisquer les biens de la Comtesse.
Cette dernière est-elle restée inactive et indifférente à cette situation ? Compte tenu de son fort caractère, la réponse est sans surprise. Non seulement Erzsébet a tenté de récupérer son dû en se rendant régulièrement à la Cour pour réclamer le remboursement de la dette que le roi avait envers elle, mais elle a également fait son possible pour se défendre des accusations qui pesaient sur elle après son arrestation. En effet, elle avait entrepris d’écrire des lettres aux (nombreux) nobles avec lesquels elle entretenait de bonnes relations afin de leur demander leur aide et de clamer son innocence, mais Thurzó lui refusa la réception de tout soutien. Bien sûr, la Comtesse s’insurgea en informant de l’attitude injuste de ce dernier, l’accusant de chercher à nuire volontairement à sa réputation !
Le poids de la rumeur
La possibilité d’un complot se dégageait donc assez nettement de nos tirages, conjuguée à la présence de rumeurs qui auraient elles aussi pu nuire à Erzsébet Báthory. C’est donc tout naturellement que nous avons également décidé d’examiner cette piste afin de tenter de déterminer quel rôle ces rumeurs ont pu avoir dans cette affaire et dans quelle mesure elles ont pesé sur l’arrestation et la condamnation de la Comtesse.
C’est sans grande surprise que nos tirages ont confirmé ce qui planait déjà dans l’atmosphère des précédents : les histoires qui s’étaient répandues progressivement sur Erzsébet ont tenu un rôle central dans cette affaire. Il est clairement apparu que la solitude et l’isolement géographique de la Comtesse après le décès de son époux a pesé sur la manière dont elle était perçue, que ce soit par les habitants des environs, la petite noblesse ou, plus tard, par la Cour. Moins on avait de certitudes sur ce qui se passait au château, et plus on cherchait des explications, n’hésitant pas à trouver des corrélations avec d’hypothétiques disparitions qui auraient pu avoir lieu aux alentours du domaine de la Comtesse. Cette possibilité n’a pas été écartée par nos cartes qui ont laissé entendre qu’elle pourrait être l’une des explications aux horreurs qui ont été reprochées à Erzsébet.
Par ailleurs, ces rumeurs auraient été alimentées par ceux qui la considéraient comme un danger à cause de son fort caractère. On sait que certains puissants avaient tout intérêt à la voir tomber afin qu’elle cesse notamment de réclamer son dû, mais aussi afin de lui confisquer ses terres et toutes ses possessions, ce qui permettrait de renflouer les caisses du royaume. En effet, pour le roi, avoir une personne plus puissante que lui dans les parages – et, qui plus est, une femme ! – n’était pas sécurisant car il sentait son pouvoir menacé, d’autant que suite aux oppositions politiques qui émergèrent, la Comtesse révéla qu’elle avait le potentiel d’un redoutable adversaire. À travers nos tirages, il est apparu que Mátyás et Thurzó ont très certainement trouvé les rumeurs qui circulaient au sujet d’Erzsébet fort opportunes et qu’ils auraient saisi l’occasion de les utiliser afin de servir leurs desseins. Les histoires qui sont arrivées à leurs oreilles tombaient donc à point nommé et leur auraient fourni le prétexte qu’ils cherchaient.
Il est très intéressant de noter qu’à aucun moment nos tirages n’ont confirmé les rumeurs d’enlèvement, de torture et de meurtre qui enveloppaient Erzsébet. Bien sûr, il est évident compte tenu de l’époque et des coutumes d’alors que la Comtesse pouvait malmener son personnel, mais à aucun moment il n’est ressorti qu’elle était pire que les autres nobles. Si sadisme, torture et meurtres en série il y a eu, nous n’en avons trouvé aucune trace dans nos tirages. Certes, des jeunes filles disparaissaient, mais rien n’a permis de déterminer que cela était imputable à la Comtesse. Voilà qui relativise largement les faits qui lui étaient reprochés !
De l’usage de la sorcellerie et de la magie noire
Compte tenu de ces éléments, l’une de nos Détectives a souhaité pousser plus loin les explorations liées aux rumeurs, et notamment à celles qui concernaient la relation d’Erzsébet à la sorcellerie et à la magie noire. En effet, il était coutume à l’époque d’attribuer aux veuves des accointances avec le Diable et de dire qu’elles pratiquaient la sorcellerie et la magie noire. La Comtesse n’a bien sûr pas échappé à cette tradition, et il ne fallut pas longtemps pour qu’elle la subisse. La relation mystérieuse qu’elle entretenait avec Anna Darvolya s’est révélée au cœur de ces interrogations, qui ont trouvé des débuts de réponses dans le tirage de notre Détective.
Tout d’abord, il a révélé que la Comtesse s’adonnait très certainement à des pratiques occultes. Étaient-elles pour autant maléfiques et empreintes d’une indéniable intention de nuire ? Rien n’est moins sûr ! En effet, il est apparu que le recours à de tels usages ait été davantage motivé par le désir de se protéger d’éventuelles attaques que par celui de nuire à autrui. Les cartes tirées par notre Détective à ce propos ont été très claires et n’ont mis en lumière aucune mauvaise intention. En revanche, la notion de protection était quant à elle très présente.
Il est également très intéressant de remarquer que ces pratiques occultes étaient indéniablement marquées par la féminité. Non seulement il s’agissait de manières de femmes – en particulier d’une veuve –, mais la Comtesse n’était apparemment pas seule. En effet, le tirage faisait émerger la présence d’une autre femme à ses côtés et donnait quelques précisions sur la relation qui les liait. Il est certain qu’elles étaient très proches et qu’elles tenaient beaucoup l’une à l’autre. La lame évoquant cette relation laissait même entendre que cette affection mutuelle aurait pu être plus que de l’amitié. On reconnaît ici la mystérieuse Anna Darvolya, qui s’était installée au château du vivant de l’époux d’Erzsébet. Les rumeurs à son sujet étaient légion et certaines lui prêtaient en effet une relation lesbienne avec la Comtesse. Celle-ci a été montrée comme tout à fait possible par les cartes, et l’on peut même dire que les sentiments entre les deux femmes étaient sincères et profonds.
Les pratiques magiques auxquelles toutes deux se seraient adonnées auraient non seulement été employées à protéger le domaine et la Comtesse, mais elles auraient également bénéficié du lien qui les rapprochait. Celui-ci aurait en effet renforcé la portée des rituels, ce qui aurait manifestement aidé Erzsébet à conserver ses terres et ses possessions aussi longtemps après le décès de son époux. En revanche, nulle trace là encore de violences infligées par la torture, pas plus que de meurtres.
Dans l’ensemble, ce tirage a révélé que la Comtesse vivait avec son temps et en appliquait les coutumes, car il n’était pas rare de chercher une protection magique dans ces contrées isolées et hostiles. Par ailleurs, il a permis d’en apprendre davantage au sujet de la forte relation qui rapprochait Erzsébet et Anna Darvolya. Comme on l’imagine sans mal, cette relation a très certainement joué un rôle dans les accusations qui ont été formulées à l’encontre de la Comtesse !
Retour en 2018
Après plus de deux heures d’enquête, le temps vint de dresser le bilan de nos explorations afin de voir où nos découvertes nous conduisaient. En rassemblant les différents éléments mis au jour, nous avons dû nous rendre à l’évidence : si Erzsébet était coupable des atrocités qu’on lui reprochait, rien ne permettait d’après nos tirages de confirmer ses funestes agissements. Au contraire, tout menait au renforcement des doutes qui subsistent encore aujourd’hui au sujet de la Comtesse, et les pistes pointant vers les complots et l’utilisation des rumeurs à son encontre n’ont cessé d’émerger à mesure que nous progressions dans nos tirages.
Voilà qui semblait confirmer la fragilité des « preuves » qui ont été retenues contre elle à l’époque et qui sont encore avancées aujourd’hui. En effet, qu’il s’agisse des témoignages recueillis lors des auditions des complices d’Erzsébet et des témoins ou du flagrant délit présumé rapporté par Thurzó lors de son arrestation, aucun élément matériel ne permet d’attester la fiabilité de ces déclarations et des faits auxquels elles font allusion. Or, en l’absence de confirmations provenant de sources autres que celles-ci, impossible de déterminer avec certitude de quoi il en retourne.
Par ailleurs, la plupart des schémas qui ont émergé de nos tirages tendaient à innocenter Erzsébet, ou du moins à limiter grandement sa responsabilité dans les faits qui lui étaient reprochés. Tout d’abord, l’exploration de la piste du complot a confirmé la vraisemblance de celui-ci, ce qui n’est pas insensé si l’on en juge par la position dominante d’Erzsébet dans la société hongroise et par son fort caractère qui en faisaient une personne gênante pour le pouvoir en place. Pour le roi et son premier ministre, elle constituait une réelle menace et il n’est pas impossible qu’en ces temps tourmentés ils aient souhaité l’éliminer dans le but d’asseoir davantage leur position et ainsi la sécuriser. Ensuite, les rumeurs qui se répandaient depuis le décès de Ferenc Nádasdy ne sont rien d’autre que des suppositions, car aucune preuve matérielle n’est venue les corroborer, que ce soit au niveau de la recherche scientifique ou de nos tirages. Il en va de même pour les dépositions des complices, qui ont été obtenues sous la torture, ce qui les fragilise énormément. Quant à la déclaration de Thurzó selon laquelle il aurait surpris la Comtesse en flagrant délit, là encore, rien ne vient la confirmer.
Quand la vérité devient une valeur relative
À l’issue de notre enquête, tout portait donc à croire qu’Erzsébet Báthory était innocente des horreurs dont on l’avait accusée. Pour autant, l’absence de preuves tangibles de sa culpabilité suffit-elle à la dédouaner de tout ? Rien n’est moins sûr !
Il faut en effet garder à l’esprit que l’absence de preuves accusatrices ne permet pas d’établir une certitude : rien ne dit que l’on ne retrouvera pas un jour, dans un vieux coffre ou dans une bibliothèque par exemple, un document, un objet ou tout autre élément qui prouverait la culpabilité de la Comtesse, ne serait-ce que pour une partie de ses crimes supposés. Lorsqu’on cherche à se forger une opinion sur cette affaire, il est indispensable de garder à l’esprit que nos réflexions ne peuvent s’appuyer que sur l’état actuel des connaissances et que celui-ci est sujet à évolution en fonction des éventuelles découvertes que feront les historiens.
Pour l’instant, il est donc impossible d’établir la vérité. Erzsébet n’a jamais avoué les crimes qui lui sont attribués, que ce soit par écrit ou par voie orale, et elle n’a jamais été jugée. À ce propos, l’intention du roi était d’ailleurs de recueillir son témoignage en employant la torture, ce qui aurait mené les chercheurs à le traiter avec la plus grande prudence.
La seule personne qui aurait été capable de faire la lumière sur cette affaire est Erzsébet elle-même, car elle seule savait si les accusations qui pesaient contre elle étaient justifiées ou non et si oui, dans quelle mesure elles l’étaient. Or à ce jour, on ne dispose d’aucun élément tangible et seuls l’examen minutieux des événements et une intime conviction permettent de se faire une idée de ce qui s’est passé. Cette intime conviction varie selon les chercheurs et les passionnés, et il est à ce jour impossible de dire avec certitude si la Comtesse était coupable de tout ce qu’on lui reprochait, si elle était coupable d’une partie des faits, ou si elle en était totalement innocente. Cela relève de chacun et à moins de nouvelles découvertes, il paraît bien difficile d’avoir une idée précise de ce qui s’est réellement passé.
Les leçons à retenir
Considérer la vérité comme une valeur relative peut être frustrant – et ça le fut pour les Détectives aux Arcanes ! –, mais ce point a fait partie des leçons apprises lors de cette réunion. Si les cartes permettent bien de mettre au jour des événements, des dynamiques, des sentiments et des émotions, il reste indispensable – même au meilleur des interprètes – de les considérer avec prudence. En effet, faire preuve d’une certitude hâtive mène souvent à l’erreur, et c’est précisément ce que l’on souhaite éviter en cartomancie. Qu’il s’agisse d’explorer un événement historique ou la situation d’un consultant qui vient nous voir, le but est de se rapprocher le plus possible de la vérité. Bien qu’elle soit souvent insaisissable dans sa totalité, les cartes aident à mettre en exergue des points qui aideront le consultant à décider des stratégies à adopter pour avancer. Dans le cadre d’une affaire historique comme ici, il s’agit d’envisager les différents scénarios possibles et de voir lesquels sont les plus plausibles. Dans les deux cas, il est important de ne fermer aucune porte et de ne pas se focaliser sur une seule possibilité d’interprétation, car cela reviendrait à voir la situation avec des œillères. Il faut au contraire rester ouvert, non seulement à la logique, mais aussi à d’autres possibilités. C’est ainsi que l’on peut, de tirage en tirage, recouper les informations et parvenir à un panorama cohérent.
L’autre grande leçon à laquelle les Détectives aux Arcanes ont été confrontés concerne la nécessité d’interpréter les lames selon le contexte dans lequel les événements examinés de sont déroulés. Pour se faire, ils ont dû s’imprégner des mentalités et des coutumes de l’époque et comprendre les grands fonctionnements de la société hongroise, de même que les enjeux politiques. C’est ainsi que les tirages ont pu prendre une dimension tout autre que celle qui aurait été la leur si l’on avait exploré des événements plus récents. Il a été parfois difficile de comprendre le message de certaines lames et de le rattacher à l’affaire qui nous intéressait mais en gardant un esprit ouvert et en remettant tout en perspective, nous avons réussi à faire sens et à leur découvrir d’autres applications que celles que nous leur connaissions habituellement. Cet exercice fut passionnant et le défi qu’il présentait fut relevé avec brio !
Grâce aux tirages que nous avons effectués, nous avons pu nous forger une intime conviction quant aux événements abordés dans cette affaire. Si la vérité stricte n’a pu être établie, une trame s’est dégagée, permettant de renforcer certaines des théories émises par les chercheurs. L’enthousiasme des Détectives présentes fut un formidable moteur pour cette enquête, ce qui a mené à un bel investissement de la part des participantes qui ont eu à cœur de faire la lumière sur les funestes événements dont il était question. L’entraide fut le maître-mot de cette réunion, et je suis ravie de la belle alchimie qui a opéré entre les Détectives.
Pour ma part, j’ai enquêté avec le Happy Tarot (voir photo) car ce jeu étant en décalage avec la situation explorée, il a permis de mettre de côté l’horreur des crimes dont était accusée la Comtesse pour faire ressortir les événements, sentiments et dynamiques propres à cet épisode. Le résultat a même dépassé mes espérances car mes interprétations en ont été grandement facilitées !
Je remercie vivement les Détectives présentes à cette fascinante réunion. Leur bonne humeur, leur curiosité et leur participation active ont largement contribué à en faire un moment riche en partage et en échanges, dans le plaisir de pratiquer une passion commune. Je suis heureuse d’avoir passé ce bel après-midi avec elles et n’ai qu’une hâte : les retrouver pour une prochaine réunion !
Certes, nous n’avons pas pu répondre à toutes les questions que posait notre affaire et le manque de preuves historiques fut quelque peu frustrant. Toutefois, la trame commune qui a émergé de nos différents tirages a montré une certaine cohérence qui n’est pas passée inaperçue et qui a beaucoup intrigué. Cela m’a même donné envie d’aller plus loin dans mes investigations sur cette affaire !
En attendant d’en apprendre davantage sur la Comtesse, j’ai déjà hâte d’être à la prochaine réunion des Détectives aux Arcanes. J’ai déjà quelques idées d’affaires sur lesquelles nous pourrions nous pencher !
À bientôt,
Morrigann Moonshadow
SUR LA PHOTO :
Les livres :
Infamous Lady: The True Story of Countess Erzsébet Báthory (Kimberly L. Craft). CreateSpace, 2014 [2nd ed., 2009].
The Private Letters of Countess Erzsébet Báthory (intr., ed., comm. Kimberly L. Craft). CreateSpace, 2011.
Elizabeth Báthory: A Memoire (Kimberly L. Craft). CreateSpace, 2011. (novel/roman)
Les jeux :
Happy Tarot (Serena Ficca). Torino: Lo Scarabeo, 2015.
The Smith-Waite Centennial Tarot Deck (Arthur Edward Waite, Pamela Colman Smith). Stamford, CT: U.S. Games Systems, Inc., 2013 [2009].
Le CD :
1614 (Opera Diabolicus). Cologne: Metalville, 2011.